Dans certaines parties de l’Afrique le métier d’architecte est aujourd’hui dans les limbes. Dans beaucoup de pays, la noblesse de la profession est de plus en plus douteuse et un grand nombre de travaux exécutés dans nos villes ne suivent pas les normes éthiques. Nous nous retrouvons avec un chantier de structures qui s’effondrent. La raison en est, le manque de réglementations adéquates et l’absence des institutions fortes pour faire de cette crise dangereuse une priorité.
Beaucoup diront que la responsabilité de ces décès fortement évitables se trouve du côté des ingénieurs des structures et d’autres acteurs dans l’industrie de la construction. Mais peu importe, les architectes y ont aussi un rôle à jouer.
Beaucoup de jeunes architectes africains sont présentement formés à l’extérieur du continent et certains ont peu ou pas de désir de retourner en Afrique en raison du manque d’organisation et des opportunités dans leurs pays d’origine. Ceux qui sont formés localement ont des rêves de s’aventurer ailleurs sans espoir que leurs titres et qualifications seront reconnus pour leur permettre de pratiquer leur métier. Dans cet « enfer », beaucoup abandonnent leur vocation pour gagner la vie autrement.
Être jeune architecte africain n’est pas facile, mais je crois sincèrement que notre continent offre un espoir inimaginable si nous savons nous engager et nous impliquer dans la résolution de nos plus grands problèmes sociaux où notre expertise est essentielle. Comme l’habitat.
Il est vivement temps pour une “architecture rebelle” en Afrique. Par «rebelle», je ne veux pas dire la voyoucratie de construire n’importe quoi, n’importe où et n’importe comment; mais une approche stratégique de la profession et le désir de voir le changement au sein de nos sociétés. L’architecture rebelle doit être à la fois un mouvement social et politique [1]. Il est temps d’ouvrir la scène aux “architecte-activistes». Cet architecte rebelle doit être prêt à sortir des limites professionnelles prédéfinies dans sa formation et de délimiter cette nouvelle voie.
Au cours des dernières années, nous avons vu quelques versions de cette «architecture de guérilla ». Des architectes qui ont osé ignorer les limites traditionnelles de leur vocation, cette même ordonnance qui souvent classifie les architectes comme des simples « concepteurs ». Des architectes qui se lancent dans une mission de multiplier leurs rôles dans la société en s’ajoutant quelques chapeaux supplémentaires sur le front. L’une des approches, la plus efficace et la plus directe est celle de l’architecte comme « promoteur immobilier ».
La population actuelle de l’Afrique est d’un milliard et deux cents millions d’âmes et les citadins sont actuellement à environ 40% de ce total, notamment 440m. En 2030, notre continent aura une population projetée à 1,5 milliard [2], ceux qui résideront dans les villes sont projetés à 579m en 2030 [3].
Cette transformation créera une population urbaine qui sera plus grande que la population rurale dans environ deux décennies. Beaucoup de citadins pauvres vivent présentement dans les mêmes conditions que ceux de la campagne. Cependant, la migration de retour étant impossible et la pauvreté urbaine est désormais une caractéristique permanente de la plupart de nos économies. [4]
Cette croissance massive et rapide de la population urbaine couplée avec d’autres aspects socio-économiques dans nos pays présentent d’énormes défis à relever et, si observé d’un point de vue optimiste, des opportunités assez intéressantes.
La crise du logement est aussi une occasion pour cette nouvelle classe de jeunes architectes dit « rebelles » ou « activistes ». Les estimations nous disent que seulement une très petite marge de citadins en Afrique a un logement adéquat tandis que la plus grande majorité n’a pas d’autres choix que de faire avec ce qu’ils ont au-dessus leurs têtes.
Les choses bougent en Afrique, les dynamiques socio-économiques changent, dans de nombreuses régions il y a une émergence quantifiable d’une petite classe moyenne et des plus en plus d’Africains s’ouvrent aux marchés qui leur ont été fermés depuis peu. L’Afrique est le futur, disent-ils.
Au lieu de laisser cette nouvelle fenêtre avec toutes ses opportunités aux grands acteurs et autres entités externes, le marché immobilier de l’Afrique est quelque chose que nous pouvons réclamer comme nôtre. Qui sont mieux placés pour résoudre cette crise du logement si pas les développeurs immobiliers africains et autres institutions continentales? Et les jeunes architectes peuvent également revitaliser leur profession en se frayant un chemin dans ce nouveau domaine, parce que nous sommes les (plus) qualifiés pour contribuer amplement de façon équitable.
La récente crise du logement a entraîné un boom de l’immobilier de manière sporadique en entrainant avec elle des opportunistes et autres individus non qualifiés. Sans réglementations, nous sommes souvent témoins des effondrements criminels et beaucoup d’ouvrages non adaptatifs érigés dans nos paysages sans tenir compte du contexte physique et culturel.
Une maison ou un bâtiment étant un investissement à long terme, les propriétaires exigeraient une garantie pour bénéficier de leurs efforts actuels même dans un futur lointain. Pour faciliter ceci, les architectes doivent se positionner comme le «passage obligé ». Nous avons un rôle à jouer et une obligation dans l’éthique déontologique de faciliter l’obtention du logement pour notre population.
Peu d’architectes gèrent avec succès ce double rôle dans l’environnement bâti. Être architecte n’est pas une mince affaire, ajouter un nouveau chapeau comme développeur immobilier ne fera qu’amplifier ces maux de tête que nous aimons tant à haïr, mais remercions les cieux de nous avoir donnés des éclaireurs et pionniers pour baliser la voie.
L’architecte américain Jonathan Segal a développé son premier bâtiment juste après son diplôme universitaire à l’âge architecturalement tendre de 25 ans. Depuis lors, il n’a jamais arrêté, sans l’aide d’un seul client. Basé à San Diego dans l’état de Californie, son cabinet combine les rôles d’architecte et de développeur immobilier harmonieusement. Son modèle d’entreprise est basé sur le développement immobilier principalement pour la location. Au fil des ans, son entreprise a développé et construit des dizaines de projets. Un de ses projets emblématiques est un bloc de 141 appartements vendus pour 45 millions de dollars à un groupe d’investisseurs. L’économie de la construction vous dira que le projet a certainement coûté moins que pour justifier sa rentabilité.
Illuminé par le pouvoir et l’influence des architectes dans ce modèle d’entreprise, Jonathan Segal encourage d’autres architectes à développer leurs propres projets. Dans certains de ses cours qu’il offre en ligne dans ce domaine, il dit “à travers le contrôle de l’ensemble du processus et l’élimination du client, vous pouvez construire et concevoir ce que vous voulez et de gagner fructueusement à travers votre travail.» [5]
Aujourd’hui Jonathan Segal a beaucoup de projets de grande envergure développés au sein de son cabinet. Pour le jeune architecte africaine, cela peut sembler époustouflant, mais tout le monde doit commencer quelque part, et il y a de l’espoir.
Alfonso Medina âgé de 31 ans est fondateur du T38 Studio, un cabinet d’architecture basé dans la ville de New York, aux Etats-Unis. La firme trouve des sites, conçoit des projets, les construit et les vend. Un processus assez simple, non ?
Selon Alfonso Medina, la branche « architecture » de son entreprise ne travaille que pour sa branche « développement immobilier ». « Nous n’avons pas d’autres clients. Ce n’était pas une question de choix de bâtir l’entreprise de cette manière, c’est juste comme ça qu’elle a commencé”, dit-il. [6]
« Quand je suis allé faire mon premier cycle universitaire à Monterrey au Mexique, j’ai eu l’opportunité de construire quelques maisons à Tijuana, alors j’ai pris une année sabbatique de l’école et m’y suis installé. Ma mère était propriétaire de la parcelle pour la première maison que j’ai construit, donc nous avions déjà un client. C’est comme ça que j’ai appris. Tant que la maison ne tombait pas, j’étais satisfait. »
La carrière d’Alfonso Medina en tant qu’architecte-développeur a commencé depuis ses années d’études et compte tenu de la variété et la taille des projets sur lesquels il a travaillé, les jeunes architectes africains peuvent s’assurer qu’une grande injection financière n’est pas une condition préalable pour y parvenir. Tout lion fut un lionceau dans son passé.
Il a personnellement une histoire d’amour avec Tijuana, la ville mexicaine où il a grandi, où il travaille maintenant pour aider dans la transformation du logement. T38 Studio travaille sur les moyens d’améliorer la qualité et l’économie des logements sociaux ou habitations à loyer modéré. “Nous avons déjà développé plus de 40 maisons à Tijuana, notamment des maisons à famille unique, des unités multifamiliales, et des villas.”
Le parcours professionnel d’Alphonso Medina est une source d’inspiration pour les jeunes architectes africains car il s’est vu au milieu d’une crise du logement dans sa société et y est profondément impliqué dans la formulation des solutions adéquates. La nouvelle mission de son cabinet est d’éduquer les masses sur l’importance d’un bon design et une bonne architecture sans nécessairement casser la banque. « Nous nous sentons octroyé l’opportunité de concevoir une architecture humaine et authentique pour ceux qui ne sont pas familiers avec cet art, les gens qui auraient acheté n’importe quelle maison. Ils commencent vraiment à comprendre comment apprécier une bonne architecture. »
Ceci permet non seulement de croître l’investissement des potentiels acheteurs en leur garantissant, la qualité et la longévité, mais positionne les architectes comme le «passage obligé», comme mentionné plus haut.
En vérité, en vérité je vous le dit, les pionniers mentionnés ci-dessus opèrent dans des pays où les agencements sont en place pour supporter leurs efforts dans ce cocktail architecture / développement immobilier pendant qu’en Afrique nous luttons encore pour avoir des structures organisationnelles définies pour que notre profession s’épanouisse comme il se doit. C’est aussi vrai que les deux exemples mentionnés ici, parmi tant d’autres, ne pouvaient réussir que dans les sociétés où le pouvoir d’achat des populations s’élève à un niveau acceptable. C’est également vrai que les écoles qui les ont formés les ont équipés avec des outils nécessaires pour se lancer confortablement dans cette lignée et certainement que le vent dans leurs régions respectives soufflaient favorablement dans leur direction mais cela n’empêche qu’il y a eu des individus déterminés qui ont décidé de réorienter leurs pratiques architecturales.
Nous, architectes africains, avons un poids considérable dans l’équilibre du pouvoir pour ce qui concerne l’environnement bâti. C’est notre obligation commune d’intensifier et de définir ou voir même créer des paramètres qui permettront l’épanouissement de notre profession, en tant que membres de la société et comme un «passage obligé».
Au-delà de nos manœuvres pour influencer les décisions de nos gouvernements nationaux, les institutions financières et la population en général, l’architecte-développeur aura besoin d’une boîte à outil bourrée de connaissances variées pour l’équiper dans cette nouvelle direction.
C’est très important de ne plus s’appuyer seulement sur une formation en architecture. Il nous faut une compréhension approfondie du marché de l’immobilier car c’est une industrie à part entière, une appréciation l’économie de la construction et un certain attachement à la psychologie sociale.
Jonathan Segal offre des cours pour faciliter la transition de l’architecture au développement immobilier [7]. Plusieurs écoles offrent des diplômes ou certificats dans le développement, la gestion, le financement immobilier et d’autres dans l’économie de la construction. De nombreux établissements offrent des formations courtes à longue distance ou en ligne que tout le monde peut suivre de n’importe où.
Socialement en tant que concepteur, la plupart de mes commissions viennent des références de mon capital social. Nous n’ignorons pas de l’opacité avec laquelle nos gouvernements octroient des grands projets nationaux à des entreprises occidentales, même si les locaux peuvent offrir les mêmes et pourquoi pas meilleurs résultats.
C’est aux architectes africains de se réinventer et de capitaliser sur ce que nous pouvons offrir à nos sociétés en créant des opportunités que seulement nous pouvons voir, comprendre et exploiter. Les défis sont là, les possibilités sont là, le changement est possible, le changement peut arriver maintenant. Un changement sur lequel nous pouvons tous y croire.
Nicolas-Patience Basabose Rusangiza Gasigwa Tata Ande Bolongola Wa Badjoko.
2 Africa’s population projections
3 Citiesalliance.org (pdf)
4 AFDB Demographic Trends (pdf)
6 T38 Studio: Beyond the Boundary
Lire sire Academia https://goo.gl/abFRfD
Lire cet article en Anglais https://sydneygroup.co.za/_basabose/2016/08/05/developer-the-possible-future-for-the-young-african-architect/